Forum, dimanche 30 mai 2004
La Presse

Un système pervers

Dans les quatre provinces atlantiques et dans l’est du Québec, le cycle travail saisonnier/assurance-chômage est devenu un mode de vie

Si Félix Leclerc a visé juste en soulignant que ” la meilleure façon de tuer un homme, c’est de le payer à ne rien faire “, alors pourquoi les libéraux fédéraux nourrissent-ils des intentions si meurtrières à l’égard de tant de Canadiens?

Car quelle autre conclusion peut-on tirer de l’annonce faite par le gouvernement, tout juste avant le déclenchement des élections, voulant que s’il est réélu, il consacrerait 300 millions supplémentaires aux prestations d’emploi destinées aux travailleurs saisonniers?

Dans les quatre provinces atlantiques et dans l’est du Québec, le cycle travail saisonnier/assurance-chômage est devenu un mode de vie. Le nombre de prestataires de l’assurance-chômage dépasse le nombre total de personnes officiellement sans emploi.

Pourquoi? Parce que les personnes actives dans les pêches, le tourisme et les autres industries saisonnières ne se considèrent pas ” sans emploi ” au cours de la ” morte saison “. Les prestations d’emploi font tout simplement partie de leurs revenus annuels.

Une succession de gouvernements de toutes les couleurs ont consenti à jouer le jeu de cette fiction, même si le Canada est le seul pays du monde industrialisé à verser de telles prestations aux travailleurs saisonniers. Un nouveau contrat social corrompu a été passé entre ces collectivités et leurs représentants élus: quelques semaines de travail sont toujours récompensées par une longue période de loisirs financée par le gouvernement et les députés qui se portent à la défense de ce système sont récompensés par des votes.

Bien sûr, toute cette approche se fonde sur l’article de foi voulant qu’il n’y ait pas de véritable travail dans la région. Par conséquent, la seule politique envisageable est de payer les gens à ne rien faire. Mais comme de nombreux articles de foi, cette prémisse ne résiste pas à un examen minutieux. Les provinces atlantiques tentent désespérément de trouver le moyen de recruter des immigrants qualifiés dont elles ont besoin. L’industrie de la construction fait état d’une pénurie de main-d’oeuvre deux fois plus importante qu’ailleurs au pays. Le vieillissement de la population et l’émigration signifient que cette pénurie s’accentuera, et non pas l’inverse.

Toutes les études sérieuses consacrées aux prestations d’emploi versées aux travailleurs saisonniers ont reconnu sa perversité, piégeant génération après génération dans cette sorte de dépendance destructrice dénoncée par Félix Leclerc. Dans son plus récent rapport sur le Canada, l’Organisation de coopération et de développement économiques souligne que l’assurance-emploi est la pire politique de ce pays raisonnablement bien géré à tous autres égards.

Pourtant, le gouvernement ne se satisfait pas de piéger les travailleurs saisonniers dans ce cruel filet. Il souhaite maintenant rendre la perspective encore plus alléchante et faire en sorte que davantage de prestations seront plus accessibles. Et les conservateurs ont tellement peur de passer pour des extrémistes qu’ils ne se dressent pas contre cette politique cruelle et cynique.

La compétition pour le vote des entrepreneurs de pompes funèbres est vive cette année.