D’un Canada à l’autre

Totale indifference
Brian Lee Crowley

 M. Martin n’a manifestement pas réussi à faire une équation entre un fisc moins vorace et le darwinisme social yankee de la mythologie

Pour la première fois en une génération, l’anti-américanisme, le leitmotiv de la campagne libérale hors du Québec, ne rapporte pas de gains politiques.

Dans ses publicités à la télé, Paul Martin tente de diaboliser le leader conservateur Stephen Harper en l’associant à des valeurs ” américaines “. La principale cible de ses attaques: le volonté de M. Harper d’abaisser les impôts.

Cette approche, soutient M. Martin, mettra en péril nos programmes sociaux. Le Canada est un pays où les gens prennent soin les uns des autres et, par implication, ce n’est pas le cas des États-Unis.

En temps normal, cette tactique formerait un pari sûr. Après tout, selon les mots d’un célèbre historien d’ici, un Canadien est le parfait anti-Américain tel qu’imaginé par Dieu.

Pourquoi cette totale indifférence? Ce pourrait bien être parce que M. Martin a trop joué la carte de l’anti-américanisme, même pour le grand appétit que manifestent normalement les Canadiens à cet égard.

Prenez par exemple l’équation qu’il propose selon laquelle des impôts plus bas aux États-Unis égalent une société indifférente aux autres. Ce qu’il oublie, c’est que les Américains se montrent considérablement plus généreux envers les oeuvres de bienfaisance que les Canadiens, ce qui n’est guère une mesure de totale indifférence à l’égard des membres les plus mal lotis de la société. En outre, il omet également de souligner que ces bas impôts sont perçus aux États-Unis sur une économie de très grande taille et sur les gros salaires touchés par les Américains. Voilà pourquoi les Américains sont traditionnellement les plus grands contribuables au monde, dans l’absolu, mais non pas du point de vue du pourcentage des revenus.

Et que font les Américains de ces recettes fiscales? À coup sûr, c’est là que réside la principale différence. Les États-Unis, par exemple, consacrent une misère de 7 % de leur PIB aux soins de santé financés par le secteur public, alors que le Canada accorde le généreux pourcentage de… 7 % au même poste budgétaire. Et un point du PIB américain vaut beaucoup plus qu’un point du PIB canadien.

Ils dépensent leur argent différemment, bien sûr, mais il est évident que le financement de notre système de santé n’explique pas pourquoi nous payons des impôts plus corsés que nos voisins.

Il est vrai que nous dépensons sans compter pour des programmes de développement économique régional tels que l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, l’Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec, l’assurance-emploi pour les travailleurs saisonniers et la péréquation, alors que les Américains n’ont aucun de ces programmes. Les dépenses, dont on a longtemps dit qu’elles jouaient un rôle sur le plan du développement régional aux États-Unis, favorisent en fait les États plus riches. Mais avant de nous montrer satisfaits de nous-mêmes, souvenons-nous que les États américains se remettent beaucoup mieux que les provinces canadiennes d’un sous-développement économique ou d’une dégringolade, et que leur taux de chômage est toujours environ deux points de pourcentage inférieur au nôtre. Gaspiller de l’argent en quantités colossales ne constitue guère un motif de fierté nationale.

Les Canadiens ne souhaitent pas être Américains, mais M. Martin n’a manifestement pas réussi à faire une équation entre un fisc moins vorace et le darwinisme social yankee de la mythologie.