Un coup d’épée dans l’eau
Les efforts de développement fournis par le gouvernement fédéral dans le Canada atlantique ont contribué à un taux de croissance économique généralement anémique

Pendant près de 40 ans, Ottawa a fait dans ” le développement économique régional “. Destinés à des régions en difficulté telles que les provinces atlantiques, l’est du Québec et le nord de l’Ontario, les programmes de développement ont littéralement englouti des milliards de dollars du gouvernement fédéral. De nombreux organismes fédéraux aux abréviations incompréhensibles comme MEER, MEIR, BFDR(Q), FedNor et APECA ont dispensé leurs largesses avec grand tapage et force hommages à des papas-gâteaux à Ottawa.

Les dépenses du gouvernement fédéral consacrées aux régions n’ont rien eu de modeste. Si vous prenez les dépenses nettes d’Ottawa dans le Canada atlantique au cours des 35 dernières années ou environ (c’est-à-dire le total des dépenses fédérales dans la région moins les impôts fédéraux perçus dans cette même région), vous obtenez un montant d’environ 250 milliards de dollars. En investissant cet argent dans des bons du Trésor américain de 90 jours pendant la même période, vous auriez obtenu environ 1 billion de dollars, soit suffisamment pour donner 300 000 $ à chaque personne de la région.

Et qu’avons-nous eu pour cet argent? Pas grand-chose. Les efforts de développement fournis par le gouvernement fédéral dans le Canada atlantique ont contribué à un taux de croissance économique généralement anémique, à un taux de chômage élevé, à des niveaux décevants d’investissements privés et à une proportion élevée d’émigration interne. Pendant la même période, des régions qui présentaient de semblables retards telles que l’Irlande et la Géorgie (État américain) se sont transformées en acteurs superformants sur le plan économique avec des niveaux de subventions externes beaucoup plus bas.

Une récente étude sur les dépenses de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA) a permis de faire la lumière sur un des aspects les moins reluisants des initiatives fédérales en matière de développement économique. Cette étude pourrait également fournir des avenues au nouveau gouvernement à Ottawa et lui indiquer comment remettre les choses en ordre.

L’étude, réalisée par les éminents économistes Jack Mintz et Michael Smart et publiée par le prestigieux Institut C.D. Howe, de Toronto, tente de déterminer jusqu’à quel point les dépenses de l’APECA consacrées au développement économique sont véritablement motivées par des critères commerciaux objectifs. Ce qu’ils ont trouvé n’a surpris personne dans les provinces atlantiques: ils ont découvert que l’argent de l’APECA servait davantage à procurer un avantage politique à court terme au parti au pouvoir à Ottawa qu’à générer une activité économique vraiment durable.

Pour en arriver à cette conclusion, les auteurs ont examiné trois choses: le moment choisi par l’APECA pour ses dépenses, la répartition des fonds entre les circonscriptions détenues par des députés du parti au pouvoir et celles représentées par des députés de l’opposition, et finalement, la répartition des dépenses parmi les circonscriptions enlevées par le parti au pouvoir avec une petite ou une grande marge.

Prenons par exemple le moment choisi par l’APECA pour effectuer ses dépenses. Environ tous les quatre ans, il y a une augmentation marquée des fonds de l’APECA approuvés pour différents projets. C’est évidemment pure coïncidence que ce phénomène correspond à la période précédant de peu les élections fédérales…

Les dépenses de l’APECA dans les circonscriptions représentées par le parti au pouvoir ont été supérieures de 40 %, sous le gouvernement Chrétien, à celles consenties aux circonscriptions détenues par l’opposition, les néo-démocrates étant encore moins bien choyés que les conservateurs.

De plus, en moyenne, les circonscriptions libérales où la marge de victoire fut forte aux élections fédérales de 1997 ont reçu environ 6 millions de dollars en dépenses de l’APECA au cours de la période précédant les élections de l’an 2000. Cependant, dans 25 % des circonscriptions libérales où la marge de victoire fut la plus mince en 1997, les dépenses ont été environ deux fois moindres.

Les esprits blasés diront que les dépenses gouvernementales seront toujours entrelardées de politique. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Lorsque vous tentez d’aider des régions qui en arrachent sur le plan économique en recourant à des dépenses massives, c’est la politique qui domine. Résultat? Vous finissez par récompenser le pouvoir politique sans aider ceux qui en ont besoin économiquement. Vous empirez les choses au lieu de les améliorer.

Paul Martin connaît le phénomène et il a déjà indiqué qu’il souhaite présenter davantage de programmes régionaux de manière impartiale, par le truchement du régime fiscal, plutôt que par des subventions discrétionnaires sujettes à l’influence politique. Mais ses députés issus de ces régions hésitent à renoncer à leur ” sac de bonbons “. L’avenue qu’il choisira nous en dira long sur lui: la politique du nouveau premier ministre s’écartera-t-elle vraiment du cynisme de l’ère Chrétien ou sera-t-elle l’expression du maintien du statu quo?

Brian Lee Crowley

L’auteur est président du Atlantic Institute for Market Studies un groupe public de réflexion de Halifax.