La Presse
Forum, dimanche 29 février 2004

D’un Canada à l’autre

De la responsabilité
Une expérience américaine démontre que les malades peuvent se prendre en charge et gérer eux-mêmes leur programme de soins de santé

” On ne peut pas faire confiance aux gens! ” Voilà le cri de guerre des défenseurs complaisants du statu quo en matière de soins de santé au Canada. Il nous faut des légions de responsables pour protéger le public, lequel est trop ignorant et trop crédule pour savoir ce qui lui convient le mieux. Et, bien sûr, les malades sont les moins susceptibles de tous de savoir ce qui est bon pour eux.

Heureusement, nous disposons maintenant de preuves montrant que les malades sont parfaitement capables de décider quels sont leurs propres intérêts et de prendre des décisions éclairées sur la façon de dépenser l’argent qui leur est alloué pour leurs soins.

Ces preuves sont fournies par une expérience innovatrice appelée Cash and Counselling (C&C- qu’on pourrait traduire par du Comptant et des Conseils) et menée dans le cadre du programme Medicaid en Arkansas, en Floride et au New Jersey.

Medicaid est le programme gouvernemental américain qui paie les soins médicaux de certains particuliers à faibles revenus. Tout comme le programme canadien, Medicaid connaît des ennuis financiers. Il a coûté 283 milliards de dollars américains, en 2003, et l’on s’attend à ce que ses coûts atteignent 611 milliards, d’ici 2014.

Environ la moitié du budget de Medicaid est consacré aux soins à long terme prodigués aux personnes âgées. En raison du vieillissement de la population, cette portion du budget de Medicaid va quadrupler, d’ici 2020. Les législateurs américains, tout comme leurs homologues au Canada, paniquent à l’idée de ce que cela signifie pour leurs budgets et leurs autres priorités.

Une partie de la réponse au gouffre financier qu’est Medicaid consiste, semble-t-il, à fournir du comptant aux pauvres, et non pas des programmes, de même que de bons conseils et de l’information sur la manière de dépenser cet argent.

Le C&C est un ” projet de démonstration ” spécial qui consiste à faire exactement cela. Et il connaît un succès extraordinaire; les gens font la queue pour y participer là où il existe et des programmes semblables sont mis en oeuvre dans d’autres États pour répondre à la demande.

Le C&C ne fait pas que contrôler les coûts. Il a redonné la maîtrise sur leur propre vie à de frêles personnes âgées, à des invalides et à d’autres bénéficiaires. En Floride, par exemple, le consommateur, de concert avec un conseiller qualifié, peut dresser un budget lui permettant d’effectuer des achats permis tels que des soins personnels, des services de ménage, des fournitures médicales, des services d’adaptation comme des rampes d’accès pour fauteuils roulants, des réparations à la maison et même des travaux sur le terrain. Ils peuvent faire des épargnes en vue d’un gros achat comme celui d’un monte-handicapé ou l’élargissement de la porte principale de leur demeure.

Ce sont les consommateurs qui prennent la décision. Ils peuvent embaucher des fournisseurs traditionnels, des membres de leur famille, des voisins ou des amis pour différentes tâches et les payer selon une rémunération convenue entre les deux parties et versée toutes les deux semaines.

Le programme est optionnel. Mais auprès de ceux qui veulent bien y participer (et c’est la grande majorité des personnes admissibles), le programme jouit d’une très grande popularité, le taux de satisfaction dépassant largement 90 %. Récemment, la législature de Floride a approuvé à l’unanimité le renouvellement de C&C.

Mais les gens ne prennent-ils pas de mauvaises décisions? Tout juste en novembre dernier, les responsables de l’évaluation du programme C&C ont découvert qu’en Arkansas, par exemple, les bénéficiaires du programme étaient beaucoup plus susceptibles de recevoir véritablement les services requis que les personnes admissibles aux services Medicaid qui devaient les recevoir à la manière traditionnelle, c’est-à-dire d’un organisme. De nombreuses institutions étaient en fait dans l’incapacité de fournir les services qu’elles avaient promis et pour lesquels elles étaient payées, alors que les bénéficiaires de C&C ne paient que s’ils reçoivent les services qu’ils souhaitaient obtenir.

Selon le Health and Human Services Department, à Washington, si un meilleur accès s’est traduit par un coût global plus élevé pour les soins personnels en vertu du C&C, ces coûts additionnels étaient compensés par des coûts moindres pour Medicaid au chapitre des centres d’hébergement et d’autres services de soins de longue durée. Ainsi, les consommateurs ont reçu beaucoup plus de soins personnels à un coût net pour Medicaid qui n’a pas été supérieur à la fin de la deuxième année.

On a constaté que le programme en vigueur en Arkansas avait grandement amélioré la qualité de vie, réduit les besoins non comblés en soins et n’avait pas compromis la santé ni la sécurité des participants.

Constatation: plus de services et des services de meilleure qualité pour des personnes vulnérables en leur donnant un plus grand contrôle sur leur vie et en les récompensant pour des dépenses sages, tout en contrôlant les coûts absorbés par les contribuables. Finalement, la responsabilité personnelle et des incitatifs comptent vraiment, même en matière de soins de santé.