Brian Lee Crowley

Si Ralph Klein était une valeur négociable, il aurait une caractéristique un peu particulière. Lorsque le prix du pétrole serait bas, le prix de Ralph serait élevé. Mais l’inverse s’observerait également; si les prix du pétrole flambaient, la demande de Ralph chuterait.

Qu’est-ce qui explique cette curieuse relation inverse ? Dans une province bien dotée en ressources naturelles, rien ne devrait être plus facile que d’être premier ministre lorsque les temps sont prospères, et rien ne devrait être plus misérable que de devoir composer avec les répercussions de la chute des prix de votre principale ressource. Alors, les prix de Ralph et du pétrole devraient évoluer de concert, non ?

Pas du tout. Pour comprendre pourquoi, songez que le fait de disposer de ressources naturelles colossales peut s’avérer une calamité et non pas un don du ciel.

Peu des économies les plus dynamiques au monde comptent de grandes ressources naturelles. Nombre des plus riches économies (on pense au Japon, au Danemark, à la Suisse, à l’Allemagne, à la France, à Taiwan, à la Corée) sont pauvres en ressources. Il en va de même au sein des pays. Aux États-Unis, le Texas et la Louisiane, où les ressources naturelles abondent, les revenus de la population sont moindres qu’au Connecticut et au Massachusetts.

Dans les années 1980, le Mexique et le Nigeria ont connu une période de récession après que les augmentations des prix du pétrole eurent augmenté fortement la valeur de leurs ressources. Jeffrey Sachs, un économiste renommé, soutient que « les économies disposant d’abondantes ressources ont tendance à accuser du retard sur celles qui en ont peu ».

Pourquoi ? L’une des principales raisons tient au fait que les revenus tirés des ressources naturelles sont comme de l’argent tombé du ciel. Les résidants du territoire qui obtient ces revenus n’ont rien fait pour mettre ces ressources dans le sol. C’est tout simplement un cas fortuit. Bien sûr, ils doivent travailler pour l’extraire du sol, mais en fait, ça ne demande pas tant de travail par rapport à la valeur de la ressource elle-même lorsque les prix sont élevés.

Comme la loterie

Et comme s’en rend compte rapidement tout gagnant à la loterie, dépenser une manne sagement n’est pas une mince affaire. La réalité, c’est que lorsque les prix pétroliers sont élevés, les territoires bien pourvus en pétrole et manquant de discipline passent leur temps à se chamailler à propos du gâteau à partager. Tout le monde veut une partie de cet argent parce qu’étant donné que presque personne n’a travaillé pour le mériter, personne n’est plus justifié d’en réclamer une partie que quiconque d’autre. La combine favorite de tout un chacun devient réalisable tout à coup. La hargne s’installe. Les revenus pétroliers gargantuesques sont une pomme de discorde.

Mais tout ce qui monte doit redescendre, et l’effondrement suit le boom pétrolier aussi sûrement que le vent suit une voile gonflée. Ironiquement, l’effondrement devient une force unificatrice sur le plan politique. Les gens se rendent compte rapidement qu’ils ont profité à l’excès de leurs « cartes de crédit », une position intenable, et que leurs revenus ont baissé. Ils doivent alors se débarrasser de leurs dettes et contrôler leurs dépenses. C’est ici que Ralph Klein entre en scène. Il a rallié les Albertains lors du creux du prix du pétrole (aux alentours de 20de dollars américains le baril en 1992) en les incitant à vivre selon leurs moyens. Et on lui a montré la sortie au moment où les prix pétroliers ont atteint des prix vertigineux (66de dollars américains cette semaine) parce qu’il ne se montre pas un leader efficace pour gérer la richesse croissante de la province.

Sortir la politique des revenus des ressources naturelles est la seule solution à long terme. Peu de gouvernements ont réussi à le faire. La Norvège y est parvenue. L’Alaska aussi. L’Alberta est partie sur le bon pied lorsque Peter Lougheed a créé le Fonds du patrimoine. Ralph Klein a pris la bonne décision en éliminant la dette et en abaissant les impôts. Mais après cela, il s’est trouvé à court d’idées tandis que l’argent continuait à remplir les coffres de la province. Ayant déjà connu ce cycle, les Albertains avisés ont le sentiment que ce manque de discipline ne peut que leur attirer des ennuis dans l’avenir.

C’est pourquoi, si les Albertains sont malins, ils éliront un premier ministre qui renoncera aux combines en faveur d’un plan crédible pour traiter les revenus des ressources naturelles comme les précieux actifs qu’ils sont plutôt que comme une manne à dilapider avant l’effondrement. Voilà comment s’explique le cas de Ralph.

L’auteur ([email protected]) est président du Atlantic Institute for Market Studies (www.aims.ca), un groupe de réflexion sur la politique sociale et économique établi à Halifax.