Brian Lee Crowley

Nous avons permis que la politique pollue les prises de décision en matière d’eau

Pendant des années, la plupart des Canadiens n’ont pas payé le véritable coût de l’eau qu’ils consomment. Résultat? Les services des eaux partout au pays ont de plus en plus de mal à tenter de trouver un moyen de convaincre les gens de payer davantage pour quelque chose qu’ils considèrent comme un droit. De plus, les utilisateurs se montrent vaguement offensés d’avoir même à payer pour obtenir de l’eau.

L’étendue du problème est énorme. L’Ontario, secouée par la tragédie de l’eau contaminée à Walkerton, a constitué un Comité d’experts en stratégie relative à l’eau. Ce comité a récemment déposé un rapport qui expose les mesures à prendre pour s’assurer que les Ontariens continuent d’avoir accès à de l’eau salubre et abondante. Sa conclusion? Au cours des 15 prochaines années, les Ontariens doivent consentir pas moins de 34 milliards de dollarsen seules immobilisations. Dans certains cas, les réseaux comprennent des tuyaux qui ont jusqu’à 100 ans. Nous avons donc profité des investissements effectués par nos ancêtres sans vouloir dépenser d’argent pour remettre l’équipement à jour. Combien les services d’eau ont-ils prévu dépenser? Seulement 16 milliards. On trouve l’équivalent de cet écart de 18 milliards dans presque chaque région du pays.

Mais pourquoi? Comment se fait-il que les gens ont payé un certain montant pour leur eau pendant toutes ces années, mais pas suffisamment pour garder les tuyaux et les usines en bon état? Parce que nous avons permis que la politique pollue les prises de décision en matière d’eau. Le résultat est un déficit de la même nature exactement que celui que nous avons dû effacer dans le Régime de pensions du Canada et dans les budgets des gouvernements fédéral et provinciaux.

La manière dont les finances publiques sont organisées permet aux politiciens de tricher. Ils peuvent promettre des avantages aux gens aujourd’hui (au moment où ils ont besoin des votes), et refiler les coûts aux contribuables de demain (lorsque d’autres politiciens devront réparer le gâchis).

Les politiciens qui consentent à utiliser des tuyaux vieux d’un siècle et à déverser des eaux usées non traitées dans les ports et les rivières représentent tout simplement une autre forme de déficit. Nous usons notre capital physique et nous endommageons l’environnement parce qu’aucun politicien n’a le cran de s’affirmer et de dire ce qu’il y a à dire, soit: ceux qui boivent l’eau et créent des eaux usées devraient payer les factures. Nous préférons plutôt passer des décennies dans l’inaction et blâmer les autres. La politique est l’un des pires polluants qui soient.

Hélas, lorsque les politiciens attribuent des avantages aujourd’hui tout en laissant la note à régler plus tard, cette note doit tout de même être payée un jour. Alors, les contribuables doivent payer la note non seulement pour les services dont ils ont besoin aujourd’hui et dans l’avenir, mais également pour les coûts de l’usure passée. L’eau ne fait pas exception à la règle.

Il est donc indéniable que le coût de l’eau doit augmenter parce que nous avons eu l’eau pour rien ou pour si peu. Mais avant de payer, nous devrions exiger des améliorations. Un meilleur système ferait en sorte que les politiciens ne puissent pas se mêler d’établir le prix de l’eau. Il nous faut des lois provinciales ” avec des dents ” exigeant non seulement des normes très élevées en matière de qualité de l’eau et de la compétence de ceux qui en ont la gestion, mais comportant également des dispositions par lesquelles les utilisateurs devraient payer ce que coûte de recueillir, traiter, distribuer et retourner leur eau salubre dans la nature.

L’un des avantages à faire payer aux utilisateurs le vrai coût de l’eau serait, soit dit en passant, qu’ils seraient moins prodigues en ce qui touche l’élément aquatique. Subventionner la consommation d’eau est destructeur sur le plan économique, nuisible sur le plan environnemental et inéquitable. Près de 90 % de toute l’eau est consommée par l’agriculture et l’industrie, de manières qui relèvent souvent du gaspillage parce qu’il n’y a pas d’incitatifs à traiter l’eau comme une ressource précieuse, ce qu’elle est en fait.

Finalement, nous devrions trouver des manières d’introduire plus de concurrence et de transparence dans la prestation des services d’eau de telle manière que ces monopoles municipaux peu performants en matière de gestion d’eau ne se contentent pas de prendre l’argent pour octroyer de gros salaires et encourager l’inefficacité et des pratiques de travail déficientes. Nous devrions payer les véritables coûts de notre eau, mais non pas les coûts de monopoleurs satisfaits d’eux-mêmes.

Brian Lee Crowley ([email protected]) est président du Atlantic Institute for Market Studies, un groupe de réflexion sur la politique sociale et économique établi à Halifax.