La Presse, Montréal
Le jeudi 10 janvier 2002

Un pays urbain 

Michael J. MacDonald

L’auteur est membre principal du Atlantic Institute for Market Studies, basé à Halifax.

Les villes canadiennes sont des moteurs économiques, sociaux et culturels du 21e siècle immobilisés dans un environnement politique de l’ère victorienne. Leurs gouvernements sont faibles et bornés: les provinces sont hostiles et concentrées sur le milieu rural et le gouvernement fédéral ne sait même plus s’il est censé connaître l’existence des villes. Ce n’est certes pas la recette de la prospérité.

Le Canada doit adopter une stratégie nationale pour surmonter avec succès tous ces obstacles, pour redonner à ses villes leur vitalité, pour assurer que les différents gouvernements réclament à grands cris une place à la table et, surtout, pour ouvrir la porte à la renaissance urbaine. C’est le partenariat, et non le gouvernement, qui est au coeur d’une telle stratégie.

Le gouvernement fédéral investit déjà des milliards de dollars dans nos villes. Le gouvernement Chrétien est parvenu à mettre fin aux conflits d’attribution. Le premier ministre a décidé qu’il peut investir là où il le veut. Ce qui pose un problème, c’est que nos villes n’ont rien à dire sur les dépenses du gouvernement fédéral. Personne ne leur a demandé quelles étaient leurs priorités et personne ne semble avoir une vision stratégique de ce qu’est une grande ville.

À la différence de nos voisins américains où les villes et le secteur privé ont formé avec Washington des partenariats solides et influents, notre pays n’a aucune stratégie efficace pour ses zones urbaines. Les dépenses fédérales sont mal planifiées et laissées à la discrétion de puissants organismes fédéraux. C’est là le secret de la duplication, du gaspillage et de la frustration.

Seule la discipline qu’impose un partenariat peut assurer le succès d’une stratégie nationale d’investissement urbain. C’est ce qui est ressorti du Sommet urbain tenu récemment à Toronto. Pour qu’une stratégie soit efficace, il faut partager tant les risques que les récompenses. Tout comme pour les capitaux de risque, ces partenariats doivent engager plus que de l’argent et être fondés sur une expertise en gestion et en investissement. Pour mener à bien leur mission, ils doivent savoir distinguer entre la politique et les affaires.

Les villes abandonnées?

Autrefois, nos villes avaient des chartes, comme les sociétés privées, mais aujourd’hui la plupart d’entre elles relèvent de la compétence des ministères des Affaires municipales qui sont au bas de la chaîne alimentaire provinciale. La plupart des villes ont l’impression d’être abandonnées par le gouvernement de leur province. Elles sont rarement consultées ou invitées à prendre part aux décisions sur les priorités en matière de financement, et la vague récente de fusions les a profondément contrariées. Les villes de Saskatoon et Halifax, par exemple, sont dorénavant obligées d’être les vaches à lait des collectivités plus démunies dans leur province respective. C’est l’antithèse de l’investissement.

Il ne faut pas mettre sur le même pied les villes et les gouvernements municipaux qui sont sous la coupe des provinces. Les villes débordent d’une énergie vitale qui prend diverses formes et elles abritent une foule d’organismes qui peuvent et doivent faire davantage pour redonner à nos villes leur dynamisme. Les gouvernements municipaux doivent figurer au rang des partenaires, comme c’est le cas dans le partenariat du grand Halifax, mais ils doivent être des partenaires minoritaires.

Les commentateurs sont d’avis que l’économie du savoir et l’essor d’Internet renforceront le rôle des villes au détriment des nations, des régions et des gouvernements nationaux. Pour la première fois depuis 1867, le gouvernement fédéral doit reconnaître que le Canada est un pays urbain et que sa prospérité repose sur l’innovation, la créativité et l’imagination de ces centres urbains.

Le Canada compte aujourd’hui parmi les cinq pays de l’OCDE qui comptent le plus sur les impôts fonciers pour assurer les services urbains. Il est donc étonnant que, malgré cette assiette fiscale limitée, les villes canadiennes ne soient pas dans le rouge.

Néanmoins, leurs infrastructures sont en train de s’écrouler et la qualité de vie de leurs résidants est menacée. Au cours de la prochaine décennie, les provinces feront face à un nouveau défi: elles devront accorder aux villes une plus grande autonomie et leur permettre d’accroître leurs sources de revenus en formant des partenariats novateurs avec des groupes non gouvernementaux.

Des partenariats entre les secteurs public et privé sont déjà à l’oeuvre partout au Canada, hors de la sphère de l’administration municipale. Ils s’acquittent avec succès de leur mission à Vancouver, à Calgary, à Saskatoon, à London, à Toronto, à Ottawa, à Montréal et à Halifax, dans des domaines tels les sciences de la santé, l’informatique, la commercialisation de la recherche en milieu universitaire et le développement économique. Ce sont des modèles fonctionnels qui, au moyen d’avantages fiscaux et de crédits d’impôts, pourraient constituer les fondements d’une stratégie nationale d’investissement urbain.

Les partenariats urbains ne sont pas centrés sur les gouvernements. Ils donnent à la population, aux organismes et aux entreprises les moyens dont ces derniers ont besoin pour diriger leur propre ville. Si les gouvernements souhaitent que les citoyens investissent librement dans leurs villes, ils doivent tout d’abord les laisser exprimer leurs désirs. Car il est essentiel que toutes les parties y trouvent leur compte.

Tensions fédérales/provinciales

Pour réussir, nous devrons concevoir des outils qui nous aideront à surmonter les tensions qui existent entre les gouvernements fédéral et provinciaux et à restreindre notre définition du conflit d’intérêts. De nombreux Canadiens prônent déjà la création d’un ministère fédéral des Affaires urbaines. Mais un tel ministère risquerait de devenir une autre tribune pour les querelles d’attributions entre les provinces; il vaudrait mieux créer une ligue indépendante de villes canadiennes.

Une ligue indépendante servirait à formuler une nouvelle politique nationale pour les zones urbaines et à modifier de façon importante la réglementation présentement en vigueur. Elle favoriserait les partenariats stratégiques et les alliances commerciales, apaiserait les craintes des gouvernements fédéral et provinciaux et encouragerait les citoyens et le secteur privé à investir dans leur collectivité. Les partenariats urbains rassemblent des gens dynamiques qui veulent faire avancer les choses et non entretenir les vieilles querelles de territoire et d’autorité ou encore adopter la ligne de pensée improductive des différents gouvernements.

Les villes fonctionnent à la manière des entreprises. Elles sont ouvertes au partenariat et concluent des alliances nationales et internationales efficaces. La collaboration face aux défis économiques et sociaux de l’économie mondialisée est à la base de notre nouvelle unité nationale. Cela suppose que le Canada est devenu une nation urbaine qui a le courage de rompre ses liens avec l’ère victorienne, qui menacent sa croissance et sa prospérité.